Colloque Bérénice #2 du 26 et 27 septembre 2019 à Metz
Dans le cadre de la Caravane Bérénice

Mener un projet culturel ou artistique avec des personnes en situation d’exil : parmi les acteur.rice.s du social et de la culture, qui trouvera à redire à une idée aussi humaniste ? Pourtant quand on la déplie, la question s’avère artistique, éthique, politique, autant que pratico-pratique, juridique, logistique, linguistique. Non, une telle intention ne va pas de soi. Oui, elle se prête au débat. Après un premier colloque en avril 2018 à Trèves, le réseau Bérénice a donc proposé un temps d’arrêt, les 26 et 27 septembre 2019 à l’Arsenal de Metz. Deux journées pour se nourrir de retours d’expériences, échanger astuces, opinions, satisfactions, frustrations… Et la question est loin d’être épuisée !

Jeudi, 10h30 –

« Aidant ? En entendant ce mot j’ai déjà le poil qui se hérisse. Un artiste n’aide pas du tout. Il est aidé », affirme Didier Doumergue, metteur en scène. Le second colloque Bérénice a commencé il y a quelques minutes et déjà les opinions, parfois très tranchées, s’affirment. Le sujet de cette première table-ronde est L’inclusion sociale par la culture : qu’est-ce qu’être aidant ?. Selon lui, l’artiste peut aider un.e confrère.soeur exilé.e d’un autre pays, à trouver son réseau, s’intégrer dans la profession. Mais quand il s’agit de projets d’inclusion sociale, il faut impérativement « créer avec », en considérant les personnes comme des sujets, alors même qu’elles ont été « désubjectivées » par la façon dont elles ont été traitées. Encore faut-il savoir ce que l’on veut créer, comment ? Pour Didier Doumergue, il est hors de question de centrer le travail sur les horreurs subies. « Il y a des travers terribles aujourd’hui dans le théâtre documentaire. Des personnes ayant vécu des drames dans leur pays viennent nous les raconter sur scène. Et après ? On ne sait pas quoi en faire. La parole doit être encadrée d’une forme esthétique. Il faut produire ensemble une fiction. Quand on est artiste, on n’est pas travailleur social. »

Autre intervenant, opinion radicalement différente : « Je me reconnais totalement comme aidant », affirme Daniel Frisoni, responsable des rencontres documentaires de l’IRTS de Lorraine, festival du film d’action sociale. « Tout a commencé un matin au petit-déjeuner, entendant à la radio qu’Alep était bombardée », raconte-t-il, avant de dérouler son accompagnement à Nancy de jeunes Syrien.ne.s. « J’ai voulu aider ceux qui étaient réfugiés en France, en leur apprenant le français. Mais je n’étais pas formé pour cela. En revanche j’ai vite réalisé en entendant Kamel Daoud qu’il fallait aussi les aider à comprendre les codes de notre société ». Avec ses étudiant.e.s en travail social, il part avec eux.elles dans Nancy pour une découverte culturelle au sens large, patrimoine pour porte d’entrée. Qu’est-ce que ce bâtiment, la mairie ? Qu’est-ce que ce fleuve ? Et au fait, les étudiant.e.s français.es connaissent-ils.elles les fleuves de Syrie ? Mais pourquoi une des Françaises s’appelle Fatima ? « Nous étions à pied d’égalité, autant aidés qu’eux, car ils nous permettaient de comprendre qui nous sommes, en mettant des mots sur nos étonnements », se réjouit Daniel Frisoni. Par ce biais, il a d’ailleurs repéré un jeune Syrien réalisateur-monteur, qui a ensuite fait la bande-annonce du festival de documentaire de l’IRTS : « Alors il n’est plus migrant, mais collaborateur. »

Donner et recevoir

Faut-il donc chercher le donnant-donnant ? « En Calabre (Italie), un contingent de Kurdes naufragés en 1997 a contribué à redonner vie au village où ils ont été accueillis, Riace. Ils ont restauré les maisons et revalorisé les métiers traditionnels tels que souffleurs de verre, fabricants de colliers… », raconte le sociologue des phénomènes migratoires et du travail social à l’université de Lorraine, Emmanuel Jovelin. « Le migrant a bien voulu venir. Il savait qu’il allait en baver », rappelle-t-il, avant d’expliquer combien la reconnaissance doit absolument être mutuelle.

Mais qu’en pensent les travailleur.euse.s sociaux.ales ? « La relation n’est pas la même pour un professionnel de l’art ou de la culture que pour un travailleur social. Il faut tout simplement laisser venir les gens, ne pas trop se poser de questions, vivre les moments ensemble et en tirer le meilleur parti pour chacun », commente Sandrine Bertozzi, intervenante sociale à ALISéS-CHRS de Briey (Meurthe-et-Moselle), également à la tribune de la première table-ronde, sur les aidant.e.s. Depuis 2012, elle travaille avec des personnes en situation d’exil, notamment autour du rap, du slam, de l’écriture, des marionnettes et de la danse contemporaine. « Dans ces moments-là nous sommes un peu plus au même niveau que d’habitude, moins dans une relation aidant-aidé », apprécie-t-elle, même si « évidemment les gens se sentent aidés et nous remercient ».
« Aller au spectacle ensemble améliore la relation éducative », avance même Catherine Keller, éducatrice spécialisée au CHRS de Briey, emmenant depuis douze ans des usager.ère.s à l’Arsenal, et organisant avant et après des temps de préparation et de discussion. « Après cela ils s’ouvrent plus facilement, parlent davantage des difficultés qu’ils rencontrent », constate-t-elle.

Communiquer par-delà les langues
Jeudi, 13h30 –

Pour tester vraiment la possibilité d’un travail à pied d’égalité, et pas seulement en parler, place à la pratique. Pour débuter le premier après-midi, les participant.e.s au colloque étaient invité.e.s à choisir entre deux ateliers : soundpainting ou théâtre en éton (une des langues du Cameroun). Artistes, professionnel.le.s des structures culturelles, travailleur.euse.s sociaux.ales et exilé.e.s, intervenant.e.s et simples participant.e.s, tou.te.s mêlé.e.s et tou.te.s débutant.e.s.

Tandis que dans une salle Dominique Bela, un des artistes accompagnés par le programme Bérénice, fait dialoguer son groupe dans une langue qu’ils ne comprennent pas, dans la grande salle de l’Arsenal, la clarinettiste Delphine Froeliger éveille des vocations de musicien.ne.s… sans instruments ! Seuls les gestes, sons créés par les mouvements du corps, éclats de voix ou de rire, bruissements et onomatopées composent l’orchestre. L’exercice est physique, invite à se défaire de l’image que l’on renvoie, à se connecter à l’énergie du groupe, à observer la singularité de ses membres… Crescendo, sur le Boléro de Ravel, le sourire aux lèvres et les corps de plus en plus déhanchés, le groupe fusionne dans un élan de plaisir partagé.

Jeudi, 15h30 – 

Un préambule idéal pour reprendre le colloque avec sa deuxième table-ronde : Faire un atelier avec des participant.e.s allophones. « Les gestes sont universels. Le soundpainting permet vraiment de s’exprimer et de fédérer le groupe, d’autant que si les musiciens se trompent de signe, c’est au soundpainter de composer avec, de sorte qu’il n’y a jamais d’erreurs », explique l’intervenante Delphine Froeliger, avant de relater l’invention de cette technique par le chef d’orchestre allemand Walter Thomson en 1974. Musicienne et référente pédagogique pour l’orchestre Démos de Metz (programme de la Philharmonie de Paris soutenant des ensembles comprenant notamment des élèves éloigné.e.s de la culture et apprenant des instruments pendant trois ans), elle utilise cette technique depuis deux ans et demi après s’y être formée, des centaines de gestes très codifiés étant répertoriés. Dans la salle se lève un vent d’enthousiasme : « Nous pratiquons trop peu l’expression corporelle. », « Le jeu de l’acteur est similaire partout dans le monde. », « Cet outil a beaucoup de sens. ».

Au sujet de l’atelier de Dominique Bela en éton, une participante se réjouit également : « J’ai vraiment le sentiment d’avoir appris cette langue, et avec l’aide de mon corps, j’ai réussi. ».

Des émotions universelles

Autre intervenant, Joël Helluy, à la fois éducateur spécialisé et comédien, témoigne de sa démarche au sein des ateliers de théâtre El Warsha qu’il anime dans le cadre du projet Bérénice, et qui mêlent autochtones et allophones. « Nous travaillons à partir de ce que nous avons d’universel : dans tous les pays on rit, on pleure, on baille, on a faim, on chante. Lors des premières séances, nous faisons des exercices de rythme et entrons dans une communication où nous n’avons pas la même façon de bouger, d’exprimer des sentiments. La rencontre se fait. Nous commençons souvent par des jeux de cour d’école : 1, 2, 3 soleil, le chef d’orchestre… Ils existent aussi dans les Balkans, en Asie, même s’ils s’appellent autrement. Nous avons cette chose en commun et cela nous détend immédiatement. »
Oui, on peut traiter de l’exil avec réjouissance, insiste Mwoloud Daoud, metteur en scène et codirecteur du Schams, un atelier de musique et de théâtre inclusif primé en 2017 par le Prix allemand de l’intégration. Arrivé en Allemagne en 2014 comme réfugié syrien, il utilise dans son théâtre l’absurde, le grotesque, le sarcasme. « Il n’est pas facile que les deux cultures se rejoignent, mais l’exil n’est pas une prison. C’est une nouvelle façon de vivre. Une nouvelle culture. Un nouvel espace de liberté. »

L’exil, sujet principal des artistes exilé.e.s
Jeudi, 16h15 –

Mais quand l’art et la culture ne sont plus seulement un vecteur d’inclusion mais un projet de vie, une nécessité existentielle ? Quand l’exilé.e est artiste, quelle nouvelle façon de créer ? Peut-il.elle si facilement raconter autre chose que l’exil ? Ressent-il.elle une mission vis-à-vis des autres exilé.e.s ? À la question posée par la dernière table-ronde de la première journée de colloque, Parler de l’exil : quel positionnement de l’artiste face aux récits de vie ?, la parole est donnée, en tribune, à deux exilé.e.s : Wejdan Nassif, auteure syrienne, et Miguel Bejarano Bolívar, comédien d’origine colombienne.
Ayant commencé l’écriture en Syrie par des récits épistolaires, Wejdan Nassif a poursuivi à Metz en recueillant les récits d’habitant.e.s de Borny, un quartier très multiculturel. Avec l’accompagnement de la Bérénice Factory, elle en a fait un livre, A vau l’eau (édition bilingue en arabe et en français chez Ill Éditions). Huit histoires d’habitant.e.s ayant vécu l’exil, intercalées de récits de sa propre histoire, faisant donc dialoguer les parcours, l’auteure devenant un de ses personnages. « Nous, les réfugiés, avons tous la même expérience : raconter notre histoire à l’Ofpra, être paralysé par les difficultés de langue, manger des plats français que nous n’aimons pas au début. Je peux imaginer ce qu’ils ont ressenti, et à la fin à Borny beaucoup de gens voulaient me raconter leur histoire, mais aussi l’histoire de leur pays, comme on le fait tous dans nos récits pour l’Ofpra. La parole est une façon de survivre et de guérir », se souvient-elle. Même quand elle va au spectacle, elle cherche encore, en résonnance, des récits cousins du sien. « J’ai besoin que l’on parle de moi en tant qu’exilée, retrouver sur scène d’autres voix sur la même réalité. Cela tisse un lien entre nous, exilés et non exilés. Nous vivons tous sur la même planète ». Dans la salle, un participant abonde : « D’après tous les spectacles que j’ai vus avec des réfugiés, j’ai l’impression que notre travail est de mettre en scène leur récit car c’est une façon pour nous de nous les approprier, de les faire vraiment rentrer dans notre pays. »
Trente ans après son arrivée en Allemagne, Miguel Bejarano Bolívar compose encore entre le sentiment d’être un étranger aux yeux de certain.e.s, et le sentiment d’avoir trouvé sa place. « Ce que les gens connaissent de la Colombie, c’est la cocaïne, alors je sens souvent qu’on me regarde comme un trafiquant de drogue. Mais en même temps, en Allemagne j’ai trouvé le calme, la tranquillité que je n’avais jamais eue en Colombie pour pouvoir écrire et j’ai pu me frayer une voie grâce à l’art ». L’essentiel de son activité de dramaturge et pédagogue est encore lié à ces thématiques. « Je n’ai jamais oublié ma patrie. Je me sens encore un pied en Allemagne et un pied en Colombie. Les pièces que j’écris tournent toujours autour de l’exil. Je travaille avec des écoles où 95% des élèves sont d’ascendance immigrée. Je veux les aider à avoir une patrie, par la musique, la danse, le théâtre. Quand des enfants se donnent la main et se mettent à danser en tournant ensemble, c’est un grand bonheur ».

Raconter ce que l’on n’a pas vécu
Vendredi, 10h –

Mais cette sensation d’avoir des racines ailleurs, ce questionnement sur l’identité existe également pour les natif.ive.s de nos contrées. L’exil n’est pas que l’affaire des dernier.ère.s arrivé.e.s. Preuve en est avec le beau spectacle de rue itinérant Patua Nou, de la compagnie belge Le Corridor (une coproduction de la Caravane Bérénice). Présenté autour de l’Arsenal à l’issue des deux journées de colloque, il raconte huit récits de vie, en chant et en dessin, de personnes vivant en Belgique, sur le modèle des patachitras, dispositifs d’art narratif du Bengale. Pour démarrer la deuxième journée, il était bon de s’y attarder, comprendre sa genèse, les méandres de sa conception, avec un temps dédié à l’échange avec sa metteuse en scène et directrice artistique, Dominique Roodthooft, ainsi que plusieurs de ses comédien.ne.s. Pour produire ces histoires, ceux-ci ont en effet travaillé sur leur propre histoire familiale. Parfois sombre, elle n’était cependant jamais racontée de manière violente ou sur le ton de la complainte. C’est pourquoi les illustrations ne calquent pas les récits de manière crue. « Non, les exilés ne sont pas tous des victimes. Ils ont une force incroyable, une volonté de vie, d’engagement. Oui, leur parcours nous émeut, mais il ne faut pas être dépassé par l’émotion. Il faut continuer à penser. Pour moi la mission de l’artiste est de placer les spectateurs dans cette attente joyeuse, au sens deleuzien. Je ne veux pas provoquer chez eux le sentiment d’impuissance ».

Lever les freins juridiques
Vendredi, 11h –

Retour au travail de terrain avec des réfugié.e.s et justement, ses contraintes juridiques, qui pourraient amener à désespérer. La table-ronde suivante, Comment le droit d’asile est-il géré en Grande Région ?, commence par ce constat : Mohamed Kushari, artiste syrien accompagné par la Bérénice Factory, n’a pas été autorisé à quitter l’Allemagne pour se rendre au colloque. Une contrainte liée à son statut de protégé subsidiaire. Mener un projet européen avec des réfugié.e.s passe en effet par une familiarisation, même pour ceux.celles dont ce n’est pas le métier – comme les structures culturelles – avec les règlements de son pays et ceux des pays partenaires voisins. Selon Nicolas Contor, directeur du Centre régional d’intégration en province de Luxembourg (Belgique), le niveau d’intégration requis, et notamment de maîtrise de la langue, est de plus en plus élevé, et donne lieu à un nombre d’heures de cours obligatoires de plus en plus élevé, même si l’obligation de résultats n’existe pas encore. 

Pour Maurice Melchior, président du Collectif d’accueil des solliciteurs d’asile en Moselle, fonctionnant uniquement avec le bénévolat, « le parcours est très complexe et demande une grande technicité. C’est une maltraitance sociale et bureaucratique. Parfois ils arrivent au bout et on leur conteste même leur identité ». Une difficulté accrue par le manque d’avocat.e.s spécialisé.e.s dans le droit d’asile et des étranger.ère.s, estime l’un d’entre eux, Daniel Delrez : « Sur 250 au barreau de Metz, cinq sont à peu près spécialisés ». Une même bureaucratie est dénoncée côté allemand par l’avocat Bernard Dahm, racontant les procédures et délais intenables.

Vendredi, 14h –

Alors que même les spécialistes reconnaissent leurs limites, que peuvent faire les artistes pour mener leurs projets ? C’est le sujet de la dernière table-ronde, Travailler avec des artistes demandeur.euse.s d’asile ou réfugié.e.s : cadres juridiques. Pour l’introduire est diffusé un extrait sonore du spectacle Les chemins de traverse, que la compagnie messine Les Heures paniques a monté avec quatre demandeur.euse.s d’asile rencontré.e.s sur le camp de Blida. Y est jouée une conversation téléphonique entre la directrice artistique et la préfecture, à qui elle demande des titres de séjour exceptionnel en raison de la tournée. Passant d’interlocuteur.rice en interlocuteur.rice, de répondeur en redirection, l’absurde de la situation fait rire. « Mais cela s’est réellement passé. Au final, je n’ai jamais obtenu de réponse à ma demande », raconte Maud Galet-Lalande à la tribune, avant de détailler les nombreuses embûches rencontrées tout au long de ce projet, dont le casse-tête pour rémunérer ses comédiens qui n’ont théoriquement pas le droit de travailler. Un mois après son lancement, quand le spectacle est en phase d’écriture avec les quatre demandeurs d’asile, l’un d’entre eux, John, est expulsé vers l’Allemagne (procédure Dublin). Puis un deuxième, Damir, reçoit son OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) et devient donc expulsable à tout moment. « Il fallait absolument prolonger le spectacle. Nous avons obtenu de nouvelles dates, des articles dans la presse, fait signer une pétition aux 4 000 signatures ». Ce qui n’a pas empêché l’expulsion de Damir.

Montrer l’exemple

Alors que Maud Galet-Lalande s’est attachée à multiplier les demandes officielles, lettres de recommandations, de son côté Ariel Cypel, autre intervenant de la table-ronde, a témoigné d’une tout autre méthode. Coordinateur général de l’Atelier des artistes en exil, à Paris, comptant 1 000 m² de locaux, il met à disposition des espaces de travail, assure un accompagnement administratif et social, organise des cours de français par l’art, des événements culturels prétextes aux rencontres, met en relation avec des galeries, des scénaristes, etc. pour en permanence 150 artistes actif.ive.s.
« Nous n’envoyons jamais d’artiste quelque part sans qu’il ne soit payé et déclaré, et nous n’en demandons pas l’autorisation. Nous payons toutes les cotisations, ce n’est pas du travail au noir. Avec 500 cachets par an, la police est parfaitement au courant, et même la préfecture nous les envoie. Ils savent qu’on ne peut pas empêcher un chanteur de chanter, un peintre de peindre ». Agir de manière légale est de toute façon selon lui soumis à interprétation. « La loi est schizophrène. Elle accorde normalement une aide financière, l’ADA, et un logement, en échange de quoi le demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler. Or plus de la moitié ne sont pas hébergés, mais on leur demande malgré tout de ne pas travailler. Par ailleurs un décret Valls de 2014 établit que toute demande de régularisation avec contrats de travail doit être favorisée ». Le message d’Ariel Cypel est clair : « Le secteur culturel doit prendre son courage à deux mains. Les grands théâtres aussi. À eux de déclarer les artistes avec qui ils collaborent. Si tous les lieux culturels hébergeaient une famille, un couple, mettaient à disposition des espaces de création, ils montreraient l’exemple ».
Et si la solution était d’agir sous la protection d’une grande collectivité ou institution, justement ? Dernier intervenant, Eugen Georg, fondateur de l’Arrival room, à Sarrebruck, où sont proposés des ateliers théâtre, a obtenu de la ville la mise à disposition d’un bus pour aller davantage vers les personnes.

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À l’heure du bilan du colloque, les sujets semblent encore loin d’être clos, et notamment tous les écueils qui se dressent sur le chemin des porteur.euse.s de tels projets et qui auraient mérité de longs développements. Bien faire n’est pas simple. Mais à l’issue de deux jours d’échanges, une petite musique semble chanter dans tous les esprits. Celle d’un idéal à atteindre, aux multiples chemins possibles. « À nous de continuer à travailler ensemble, et être des multiplicateurs de ce que l’on a appris », lance une participante. Un parfait mot de la fin… ou de commencement !

Claude Somot, photographe

« J’entends certaines personnes dérangées par les projets mettant en scène de simples récits de vie. La fiction aurait seule sa place au théâtre. Moi, je trouve très important le théâtre documentaire, pour libérer la parole des réfugiés et qu’on les entende. »

Fatou Mbodj, doctorante en linguistique à l’Université de Lorraine
« Proposer aux personnes de s’exprimer par le théâtre peut les aider à s’extérioriser, mais pas toujours. Parfois, elles ne souhaitent pas se libérer. Elles acceptent pour faire plaisir, car elles se sentent redevables, mais cela ne leur fait pas de bien. »

Laura Mahé, responsable culturelle à l’Espace Malraux, à Geispolsheim
« Nous avons beaucoup programmé d’artistes réfugiés ainsi que des compagnies françaises traitant de ces questions. Je constate malheureusement que souvent la vision est misérabiliste, compassionnelle. Je voudrais donner d’eux une autre image. »